MARIE-JÉSUS DIAZ
HOMMAGE AU CARRÉ

Hommage au carré
Texte d’Alain Fleig, septembre 1986

Le rapport entre l’Occident et la communauté Islamique qui semblait enfin pouvoir se pacifier, permettre une ouverture et un enrichissement mutuel pour peut-être, enfin, rajeunir et revivifier nos vieux mondes face au désert envahissant de l’esprit, à nouveau se dégrade et s’oppose, on active les vieilles lunes de la différence négative, la peur et la suspicion.
Pourtant plus que jamais, cette rencontre, cette compréhension mutuelle est nécessaire.
Marie-Jésus Diaz nous le prouve ici : sa découverte du Maroc, il y a deux ans, découverte lucide et profonde, ne pouvait se solder comme chez trop de photographes par un travail banal, fût-il de qualité, sur les éclats de la couleur, les paysages grandioses de cette ‘Terre de Contrastes’ comme disent les dépliants touristiques, ou bien des clichés d’un exotisme un peu pervers et d’assez mauvais aloi : les femmes, les enfants ‘un peu sales mais si jolis’, les vieillards ‘tellement pittoresques’, ce que les collections de cartes postales de Neurdein ou Lehnert &Landrock au début du siècle nommaient
'scènes et types'. C’est au cœur même de l’esprit de l’Islam que Marie-Jésus Diaz s’est plongée d’emblée, cette pensée qui s’appuie sur un jeu esthétique et le génère en même temps, cette géométrie du temps et de l’espace, complexe et raffinée qui caractérise tout l’art, toute la philosophie mais aussi l’être même de l’Islam.

Eliminant les séductions faciles, sa fascination s’est portée sur le détail (détail qui contient le tout) de l’architecture : présence du carré, figure de base qui, doublée, donne l’étoile à 8 branches si caractéristiques du décor islamique mais qui ne saurait avoir la seule fonction d’un vocabulaire plastique de base et joue sur une symbolique riche et profonde. Elle s’est portée aussi sur les écritures de lumière, glyphes d’ombre faisant du moindre mur de pisé un véritable kitâb : livre ouvert où toute une tradition expose ses arcanes, double de ces moucharabiehs délicats dont les ferrures s’entrelacent :positifs et négatifs sur la même image.

Marie-Jésus a su jouer avec force de ces jeux graphiques sans s’arrêter à l’anecdote, interrogeant ce va et vient, cette palpitation de l’ombre et de la lumière au sein de la plus rigoureuse géométrie, donnant à décrypter le jeu négatif et positif de ces grilles qui sont aussi des codes, cette vieille notion de l’ad’dâd qui, dans l’Arabe classique, signifie à la fois le noir et le blanc, le chaud et le froid, etc…

Ambivalence réglée, symbole du pacte de tolérance, la muçâlah’a qu’on retrouve précisément dans le double carré enlacé.

Mais Marie-Jésus ne s’est évidemment pas contentée de jouer l’illustration de ces concepts délicats qu’elle ignorait d’ailleurs lors de son premier voyage ; c’est par l’intuition d’abord qu’elle s’est glissée dans cette culture différente, qu’elle a assimilé les bases plastiques et humaines pour restituer, au bout du compte un étonnant travail photographique, difficile qui joue de la concordance et de l’opposition, de cette architecture du temps et rejoint les recherches ,parfaitement occidentales, celles-ci, du constructivisme et du suprématisme des années 20 qui sont à la base de tout renouveau esthétique de notre siècle.

C’est donc à une fusion de cultures qu’aboutit et dont nous parle ce travail de Marie-jésus Diaz, travail en apparence formel mais construit sur une connaissance intime et pleine d’intuitions, un regard aigu et humble posé sur ce peuple du Maroc : c’est en regardant les hommes en s’imprégnant de l’esprit des lieux que Marie-Jésus a compris, senti, ce jeu d’équivalence symbolique qui apparaît avec autant de force dans son travail : fusion des âmes sous la rigueur de la construction.

Pour ma part je tiens ces photos pour les plus intelligentes que j’ai jamais vu réalisées sur ce pays, car nous sommes loin ici de la collection de points de vue, d’une accumulation de fenêtres et de hasards de l’architecture, d’une sorte de collection : il s’agit de la constitution homogène d’un travail, comme l’on construit un texte ; elles ne nous parlent pas du carré comme cadre, espace clos, délimitation, au contraire, c’est la richesse des possibles de la géométrie, de l’esprit, qui est ici interrogé dans une sorte d’ascèse photographique. Il suffit, en fait, de jeter un œil sur les actuels travaux en noir et blanc, quasi abstraits de Marie-Jésus pour en être convaincu. Là aussi c’est une abstraction qui joue entre la lumière et l’ombre dont il s’agit, dans le frémissement et la subtilité des passages : l’esprit même du ad’dâd, peut-être bien le photographique même.
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Hommage au carré (1986-1987), essai photographique sur l’importance du carré dans la culture islamique, au Maroc. 20 images. Tirages numériques disponibles en A2.
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© Marie-Jésus Diaz