Vero scritto misto
J’ai depuis longtemps porté un intérêt particulier pour les pierres, je ramène toujours à la maison des petits morceaux du monde, du temps. Mes dernières recherches photographiques me permettent d’élargir ma collecte en image, je ne m’intéresse plus seulement à leurs formes, leurs couleurs, leurs douceurs, je me passionne aussi pour l’utilisation qu’en font les hommes pour construire, comment ils les travaillent, la qualité graphique des marques d’outils et les différentes manières d’organiser ces pierres, au sol ou sur les murs.
Marianne Montchougny qui a constitué une collection de cartes postales sur la ville de Choisy-le-Roi , m’a demandé d’en faire une, sur sa ville jumelée, Lugo , en Italie.
J’ai donc photographié Lugo en m’imposant la contrainte d’un regard centré sur le minéral; ce qui pour une ville construite en briques devient un pari intéressant.
Jusqu’ici mon travail sur les pierres était en noir et blanc, pour Lugo la couleur s’est imposée. D’abord par respect au « Pavaglione », cœur de la ville, petit joyau d’architecture superbement restauré, et dont on aimerait laver les dalles pour le plaisir de voir briller au soleil la grande variété chromatique de cette pierre de Vérone.
Ensuite les murs de briques sont recouverts de crépis, les pierres ne sont le plus souvent que les arêtes horizontales et verticales des architectures, mettant en valeur les surfaces multicolores.
Et la dernière caractéristique de Lugo est le pavement des petites rues étroites du centre ville fait avec les galets des rivières de la région.
Il n’y a pas de personnages dans mes images, c’est le travail de transformation du monde par l’homme qui m’intéresse.
Au savoir faire professionnel du bâtisseur s’ajoutent ses acquis culturels légués par la longue histoire de chaque civilisation (spécifique à chaque territoire) et ses propositions personnelles, part créative de tout un chacun dans son travail.
La photographie me permet de prélever un morceau choisi du monde à un moment donné, c’est une page d’espace et de temps figé avec laquelle j’instaure un dialogue muet (cosa mentale) grâce à l’informatique. C’est une sorte d’exercice de style, de jeu avec les formes, et pour Lugo aussi avec la couleur. La fausse objectivité de la photographie n’est plus à démontrer, la volonté affichée dans mes images de surligner les interventions à l’ordinateur, est simplement une invitation à plus d’interactivité avec le spectateur. Comme le titre de cette série l’indique « Vero scritto misto », il s’agit d’un mélange de prises de vues argentiques et numériques, travaillées à l’ordinateur ; et si je parle de vérité, il s’agit de la vérité d’une image de papier. Sa vraie vie est dans le regard du spectateur, elle n’existe que nourrie par ce regard, le dialogue peut ainsi se poursuivre.
Marie-Jésus Diaz
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