Journoir
Journoir, c'est quoi ? C'est où ? C'est quand ? Que veut dire Marie-Jésus Diaz par ce néologisme dont elle baptise cette dernière série de travaux. Nous parle-t-elle d'espace ou bien de temps ? Faut-il comprendre qu'elle cherche à nous entraîner une fois encore aux extrêmes limites du blanc et du noir, du sombre et du clair qui balisent tout espace visible ? Faut-il plutôt entendre ce mot comme l'expression de l'alternance des jours et des nuits qui rythme le temps ? Les deux à la fois probablement.
Quand Marie-Jésus Diaz, en me montrant ces photos, prononça le mot énigmatique Journoir, j'entendis trivialement le mot journal. Je trouvais que les images que j'examinais répondaient effectivement assez bien à l'idée que je me fais de certains journaux : ces rectangles de papier quotidien, sur lesquels alluvionne chaque nuit un peu d'encre ; où se dépose, sous forme de lettres et de mots, le précipité des heurs et surtout des malheurs du temps. Quand Marie-Jésus Diaz précisa qu'il fallait entendre Journoir, j'orthographiais mentalement ce vocable sous la forme de Jours noirs.
Je trouvais que Jours noirs convenait idéalement pour un titre de presse. Un journal qui ne se donnerait pas vraiment à lire, tant son papier serait calciné par les événements qu'il serait censé relater. Un journal dont les pages ne livreraient que la sombre tonalité de nouvelles décidément trop noires pour que nous en supportions le détail, dont les articles n'auraient plus que valeur de gris, selon leur police de caractère, le corps et la graisse de leurs lettres. Voilà sur quelle piste un mot mal entendu m'avait d'abord lancé. Une interprétation que l'extrême tactilité du travail de Marie-Jésus Diaz ne contredisait pas.
J'aime la façon dont elle plie et replie le papier, faisant glisser les feuilles les unes sur les autres comme pour une commodité de la lecture, créant chevauchements ou accordéons comme si elle manquait d'espace pour les étaler, les auscultant en transparence dans un rayon de lumière comme s'il y avait dans leur épaisseur une énigme à déchiffrer, les biffant ou les lacérant soudain comme sous le coup de l'indignation.
Mais Marie-Jésus Diaz n'en reste pas à la superficialité d'un travail manuel. Chaque geste creuse l'idée et fait œuvre en profondeur. Plus je regarde ces photos, plus il me semble qu'il s'agit de quelque chose qui relève d'un autre genre de journal : le journal intime. Journoir, c'est la chronique, des secrètes expériences qu’elle mène aux lisières du clair et de l'obscur depuis toujours. C'est le récit de ce qui se joue perpétuellement en nous entre la part de lumière et la part d'ombre.
C'est l'image d'accumulations, de répétitions, d'imbrications, de fusions, d'adhérences, de déchirures, de glissements, de déploiements et d'oublis dont Marie-Jésus Diaz donne ici la traduction photographique. Je verrais volontiers dans ce travail une sorte d'imagerie médicale de l'âme si celle-ci venait à prendre forme de livre. Alors qu'au début il me semblait évoluer à la surface de pages de journaux d'actualité, j'ai maintenant le sentiment de m'enfoncer à tâtons entre celles d'un traité de métaphysique.
Max-Henri de Larminat
Journoir
What is this word that Marie-Jésus Diaz has invented as a title for this last set of images? Where does it come from? Jour - day, noir - black? Journal - newspaper? Is it a place, is it a time? Is she taking us once more to the extreme limits of black and white, dark and light, that mark out every visible space? Does it refer to that alternation of day and night that impresses its rhythm on time? Both, probably.
When Marie-Jésus showed me these photographs and uttered that enigmatic word Journoir, I simply misheard it as journal, newspaper. Actually, the images I was looking at did correspond to the idea I have of some newspapers: daily rectangles of paper, on which a little ink settles every night, a deposit of letters and words that are the precipitate of the happiness and woes of time. When Marie-Jésus Diaz repeated the word as Journoir, I saw it in my mind's eye as Jours noirs.
I thought that "black days" was a perfect title for a newspaper. It would not be easy to read, because its paper would be so blackened by the ash of the events it had to relate. A newspaper whose pages would only print the dark tones of news too black for us to tolerate in detail, whose articles would just give the appropriate grey tone, by their font, character size and formatting. And so a misheard word sent me off in a particular direction. An interpretation that is not contradicted by the extremely tactile nature of Marie-Jésus Diaz's work.
I like the way she folds the paper and folds it again, slips the sheets over one another as if to make them easier to read, overlaps or compresses them as if she had no space to spread them out, examines them through a ray of light as if there were some enigma to decode in their thickness, erases or tears them as if in indignation.
But Marie-Jésus Diaz goes beyond the superficiality of manual work. Each gesture digs away at an idea and examines its depth. The more I look at these photographs, the more they seem to have something to do with yet another sort of journal, a private diary. Journoir is the chronicle of the secret experiments she has always been conducting at that forest's edge between light and dark. It is the account of that contest in each of us between sunlight and shadow.
Accumulating, repeating, interweaving, merging, adhering, tearing, sliding, unfolding and forgetting: these are the processes that Marie-Jésus Diaz translates for us here into photography. I see it as a sort of medical imagery of the soul presented in the form of a book. Whereas I started out thinking it was about the surface of newspaper pages, I now feel I am groping my way down into the pages of a treatise on metaphysics.
Max-Henri de Larminat |